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Grand Accord 2017 : un texte qui divise et ne règle rien

vendredi 21 décembre 2018

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Voir également la documentation SUD consacrée au « Grand Accord ».

Voici le communiqué publié par SUD après la signature de cet accord d’entreprise, en mars 2017 :

Grand Accord 2017 : un texte qui divise et ne règle rien

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Le Grand Accord d’entreprise était censé apporter plus de clarté, d’équité et de sécurité juridique. Mais le texte, signé par trois organisations syndicales représentant plus de 70% des votants aux dernières élections, a l’effet inverse : construit autour d’un édifice central - le forfait jours -, il divise le personnel, entre professions concernées par ce dispositif, et catégories non éligibles ; il divise entre ceux qui pensent pouvoir sauver l’essentiel en souscrivant au forfait jours et ceux qui n’en veulent pas ; il divise l’Intersyndicale et il divise le premier syndicat de l’AFP, car beaucoup de ses adhérents ou mandants ne comprennent pas comment il a pu passer de la « résistance » au « travailler plus » du Plan Hoog, à l’abandon sans combat et sans consultation démocratique du personnel.

Mesures transitoires : un terrible aveu d’échec

Loin d’apporter « une plus grande équité entre les différentes catégories de personnel » [1], le Grand Accord entraîne des reculs sociaux tellement déséquilibrés et brutaux, que la direction a jugé bon d’accorder des mesures transitoires pour amortir le choc :

  • Pour les ouvriers et employé-e-s présents au moment de la signature (10 mars 2017), le plan de carrière est prolongé pendant cinq ans, et la prime de fin de carrière (départ à la retraite) jusqu’au 31 décembre 2017, pour ceux qui s’engagent d’ici le 31 mars. Que la direction accède à ces demandes, montre deux choses : 1/ Pour elle, c’était le prix à payer, afin d’obtenir un accord majoritaire sur le cœur de son projet : le forfait jours pour les cadres et les journalistes (qui représentent 80% du personnel) ; 2/ Ces mesures transitoires concernent des catégories de personnel dont les effectifs fondent d’année en année, et la direction a l’intention de les réduire encore davantage en comptant sur les départs naturels non remplacés. Dans ces conditions, maintenir certains avantages de salariés dont beaucoup partiront d’ici cinq ans, sans être remplacés, ressemble à un plan social déguisé.
  • Pour les cadres techniques et administratifs présents au 10 mars, les nouvelles grilles de salaire ne rentrent en vigueur qu’au 1er avril 2018.
  • Pour les jeunes présents au 10 mars, trois jours de congé d’ancienneté sont accordés par anticipation. Sans cela, la perte de jours de repos aurait été encore plus brutale pour eux.

Ces mesures transitoires sont un aveu d’échec : les signataires reconnaissent que l’accord est tellement mauvais qu’il aura fallu adoucir la chute pour une partie du personnel actuel.

Présentation biaisée des « concessions arrachées »

On notera l’étrange parallélisme entre la communication des différents signataires de l’accord : ils se contentent de souligner les « avancées dans la négociation », en comparant le résultat final au projet initial de la direction. C’est l’art de la propagande et de la désinformation, qui permet, par exemple, de noter une « amélioration de la grille des cadres administratifs » [2], alors que celle-ci a été nivelée par le bas par rapport à l’existant.

Au lieu de comparer les nouvelles dispositions avec les droits sociaux garantis par les précédents textes, et abandonnés sans mobilisation du personnel, ils martèlent tous le même message : celui du « maintien du nombre global de jours de repos pour les journalistes et autres cadres », grâce au forfait jours [3]. Un message qui fait peu de cas des plus jeunes parmi nous qui eux n’ont pas encore les 15 ans d’ancienneté pour pouvoir bénéficier de la semaine de congés d’ancienneté. Sans parler de nos collègues embauchés après le 10 mars et qui devront côtoyer tous les « anciens » qui auront plus de droits qu’eux.

Les intérêts de ceux qui feront l’AFP de demain ont été carrément bradés.

Le « travailler plus » devient la norme

L’essentiel de l’accord concerne l’introduction du forfait jours, c’est-a-dire un mode de fonctionnement où le temps de travail n’est plus décompté en heures mais en jours. Aux journalistes et aux cadres techniques et administratifs, le Grand Accord propose le choix entre perdre des droits sociaux, fruits d’un demi-siècle de progrès social et de luttes, ou prétendument échapper au recul social en optant pour le forfait jours.

D’après la direction, ce dispositif permet la sécurisation juridique, alors que l’entreprise courait le risque de se faire attaquer en raison des heures supplémentaires non compensées. Le problème est qu’en réalité elle obtient des syndicats signataires le soutien à une opération de blanchiment social, qui vise à légaliser et à généraliser des horaires à rallonge, en minant encore un peu plus les 35h et sans améliorer les conditions de travail - bien au contraire.

Forfait jours : un pari risqué

Pourtant, ce dispositif constitue un nouveau risque juridique, car la plupart des salariés de l’AFP ne rentrent pas dans les critères légaux du forfait jours. Celui-ci est réservé …

  • Aux « cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auxquels ils sont intégrés »
  • Aux salariés (non cadres) dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées » [4]

En validant quand même ce dispositif, les signataires misent sur un dangereux coup de poker menteur :

ils sont persuadés qu’aucune organisation syndicale de l’AFP n’osera attaquer le forfait jours en justice, au risque de se faire accuser de faire perdre aux salariés des RTT. Ce raisonnement ne peut fonctionner que parce que le choix alternatif que le Grand Accord laisse aux salariés, n’a pas été sérieusement contesté par les syndicats signataires. En effet, ceux-ci misent tout sur l’importante différence de jours de repos, selon que les salariés concernés choisissent ou non le forfait jours :

  • S’ils acceptent le forfait jours, les cadres et les journalistes passent de 18 RTT par an à 12 à partir du 1er juin.
  • S’ils préfèrent rester au décompte horaire, ils passent de 18 RTT à 4, et à une semaine de 35h dans le cas des cadres et journalistes en travail posté (desks, graphistes, documentation…), et de 18 RTT à 7, avec une semaine de 39h pour les journalistes de production.

Casse-tête pour les chefs de service

Déjà, des membres de la hiérarchie intermédiaire sont inquiets : comment pourront-ils ou elles gérer leur service si les salariés n’ont pas tous le même régime de travail ? Comment gérer les vacances d’été qui approchent ? Comment mettre en place des tableaux de service en horaires postés, conformes au Grand Accord et à la législation ?

Actuellement, certains chefs de service imposent la prise d’une RTT, pour assurer que les salariés ne travaillent pas plus de six jours d’affilée et qu’ils puissent prendre deux jours consécutifs de congé hebdomadaire. C’est jouable avec 18 RTT par an, ou 12. Mais lorsqu’il n’y en a plus que 4, cela devient mission impossible. Si les salariés préfèrent rester au décompte horaire, leurs 4 RTT par an seront insuffisants ! Nous sommes curieux de voir comment la direction entend sortir de ce dilemme.

Les salariés des services fonctionnant en horaires postés ont au moins deux bonnes raisons de ne pas opter pour le forfait jours :

1/ Il est illégal. 2/ Si la majorité des salariés d’un tel service accepte le forfait jours, ils n’auront aucune garantie de rester aux 35 heures, le forfait jours étant par définition incompatible avec un décompte du temps de travail en heures.

Le décompte horaire : plus favorable que le forfait jours

Les salariés ne travaillant pas en horaires postés ont eux aussi tout intérêt à préférer le décompte horaire, et de s’appuyer sur le point 6.2 de l’accord (page 33). Celui-ci précise que « la durée du travail est fixée à 35h/semaine (…) pour toutes les catégories de salariés (hors salariés relevant du forfait jours) conformément à la loi ».

Exemple de la pagaille, prévisible, dans un service rédactionnel de production, où des journalistes choisissent de rester au décompte horaire : jeudi après-midi, X réalise que depuis lundi matin il/elle a déjà travaillé le nombre d’heures requis. Selon le point 6.8 de l’accord (p. 44), la prestation d’heures supplémentaires doit être faite « à la demande explicite de l’employeur ou d’un responsable hiérarchique ». Autrement dit, le/la chef de service aura alors le choix entre trois solutions :

  • Demander à X la réalisation d’heures supplémentaires. Pour les cadres et les journalistes, « les heures supplémentaires donnent lieu à un repos compensateur » (qui s’ajoute aux RTT). Résultat : les salariés au décompte horaire réalisant beaucoup d’heures supplémentaires auront au final plus de jours de repos que ceux qui ont opté pour le forfait jours. De plus, les heures supplémentaires accomplies au-delà d’un contingent annuel de 220 heures donnent lieu à repos compensateur et paiement majoré.
  • Demander à un autre journaliste du service (p.ex. un journaliste au forfait jours) de poursuivre le travail de X.
  • Faire l’impasse sur l’information. Une hypothèse envisagée et revendiquée très sérieusement par la direction, qui s’assoit allègrement sur notre mission d’intérêt général, quand cela l’arrange.

On le voit, si le choix de prendre le forfait jours ou de rester au décompte horaire est un choix individuel, il a des conséquences importantes pour la cohésion des équipes. Il risque d’être facteur de divisions et de conflits entre collègues, dans un climat social déjà morose.

En outre, des collègues ont signalé d’autres problèmes liés au forfait jours :

  • Les salariés qui ne remplissent pas les conditions légales pour être reconnus comme « travailleur de nuit » (point 6.11.2.2, p. 56), perdront leur prime de nuit s’ils choisissent le forfait jours. Cela concerne par exemple les journalistes de la « petite nuit » : seuls ceux qui sont en décompte horaire ont droit à la prime de nuit (point 6.11.2.3, p. 58).
  • Pour les salariés en temps partiel, le passage au forfait jours entraîne une perte de salarie net, car ils doivent payer leur cotisation pour la Sécurité sociale sur la base d’un temps plein (point 6.9.3.2., p. 47/48).

Ces exemples montrent que forfait jours peut rimer avec perte de salaire.

Salaires et carrières : le compte n’y est pas du tout

L’autre élément de propagande mis en avant par les signataires de l’Accord concerne les salaires et les perspectives de carrière. Curieusement ils ne se souviennent pas du point de départ du Grand Accord, le Contrat d’Objectifs et de Moyens, signé en 2015 par le PDG et les représentant du gouvernement français. Citation : « Il est essentiel d’accompagner le développement de l’Agence dans la durée, trouver les marges nécessaires pour garantir des hausses de salaire et adopter un contrat social pérenne. »

« Hausses de salaire » ? Le texte ne reprend même plus l’idée initiale, qui envisageait de troquer des RTT contre l’amélioration du pouvoir d’achat. On sait ce qu’est devenue la promesse d’une augmentation générale pour 2016, qui avait conduit certains syndicats à lâcher la grève unitaire de juillet 2015 contre la dénonciation des accords.

La version finale du Grand Accord ne contient rien sur les hausses de salaire. A part la proposition d’une « négociation d’un accord d’intéressement permettant ainsi d’associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’AFP », le texte dit que la revalorisation des grilles « est envisagée » dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO), et cela « en intégrant les contraintes budgétaires de l’AFP ».

Exit les hausses générales : le gel des barèmes depuis novembre 2012 est prolongé ad vitam aeternam.

En revanche, « chaque année, une enveloppe spécifique de primes et promotions est inscrite au budget de l’AFP. »

Tout comme le forfait jours, la nouvelle politique de rémunération et de gestion des parcours professionnels prévue par le Grand Accord vise à individualiser les salaires et les carrières, affaiblir les automatismes, renforcer les moyens permettant à la direction de faire ses choix, sans que ceux-ci soient cadrés, et à marginaliser les salariés qui ne sont pas dans la ligne.

Victimes prévisibles de cette politique managériale qui entend privilégier le « chacun pour soi », pour casser les solidarités, l’esprit d’équipe, la culture d’agencier : les femmes, les jeunes, les éléments critiques, et finalement l’ensemble des salariés. Car toutes les garanties collectives sont révisées à la baisse. SUD reviendra sur ces points, catégorie par catégorie.

Et maintenant, que faire ?

Le Grand Accord est mauvais. Et ce n’est pas la commission de suivi - dont les syndicats les plus critiques sont exclus - qui réparera les dégâts. D’ores et déjà, notre perspective à moyen terme est celle d’une renégociation. Car ce mauvais accord ne règle rien, ni pour les finances de l’AFP ni sur le plan social ; il sème la pagaille et la division et mettra la santé des personnels en danger.

SUD n’exclut aucune procédure juridique susceptible de sortir de l’insécurité juridique et de faire invalider des dispositions de l’accord qui seraient contraires au droit ou aux principes fondateurs de l’AFP.

Dans l’immédiat, SUD en appelle aux salarié-e-s :

  • Faites-nous part des problèmes liés à la mise en place des nouvelles dispositions.
  • Ne vous précipitez pas pour accepter le forfait jours ! Les dispositions sur le temps de travail n’entrent en vigueur qu’à partir du 1er juin. D’ici là, nous conservons nos anciens droits à des RTT. Et chacun verra plus clairement les méfaits du forfait jours
  • SUD conseille à tous les salariés de rester au décompte horaire. Dites non au forfait jours ! Défendez les 35 heures !
  • SUD fait confiance aux membres de la hiérarchie intermédiaire : bien que la direction vous mette la pression, nous savons que vous respecterez le libre choix des salariés.

Morosité, détresse, démotivation : revenons-en à la solidarité !

On découvrira au cours des prochains mois toute l’ampleur des régressions sociales induites par le Grand Accord et sa philosophie générale. Résultats déjà visibles de ce management désastreux : « détresse » et « situation très tendue » à AFPTV [5], morosité à la DSI, démotivation assez généralisée. C’est un euphémisme de dire que le Grand Accord, tout comme les autres réalisations du PDG, ne suscite ni enthousiasme ni même adhésion molle de la part des personnels.

En validant le Grand Accord, sans même avoir envisagé d’utiliser l’arme de la grève, en créant le fait accompli, sans consultation du personnel, en signant l’accord avant même l’assemblée générale du 9 mars, les syndicats signataires n’ont pas seulement franchi la ligne rouge ; ils ont surtout contribué à créer ce climat de résignation. Après avoir accusé le PDG d’avoir fait usage de son 49-3, en dénonçant l’ensemble des accords, les syndicats signataires ont utilisé leur 49-3 à eux, en reniant leurs engagements et les principes de transparence et de démocratie, sans donner la parole aux premiers concernés : les personnels.

A chacun de tirer les leçons de cet abus de confiance. Rompez avec les syndicats qui ne méritent pas votre confiance ! SUD vous propose de revenir au TOUS ENSEMBLE.

Construisons ensemble un autre syndicalisme : un syndicalisme solidaire et démocratique !

Paris, le 21 mars 2017
SUD-AFP (Solidaires-Unitaires-Démocratiques)